OBJECTS IN MIRROR ARE CLOSER THAN THEY APPEAR

Résidence à Taiwan

avec le soutien de La Maison Laurentine et l'Institut Français de Taiwan
en décembre 2013

La distance, tant géographique que culturelle, incite à prendre conscience de l’autre, qui, tel un miroir, renvoie une image fantasmée, souvent déformée de ce que l’on y cherche. À scruter du regard autour de soi, revenue à la nuit dans une langue étrangère opaque, les autres sens s’aiguisent, et puisent en l’autre les ressources pour se retrouver.

Au travers du miroir, je vois au-delà de mon corps et de mes perceptions habituelles, le champ de vision devient plus vaste, et dans un même temps restreint par un prisme d’émotions primaires.

Les lieux où l’on circule, en agrandissant peu à peu le cercle tel l’animal ouvrant son territoire de chasse, ouvrent et referment les perspectives. Le Parc lui-même préserve et limite dans un même temps.

À partir de matériaux de récupération, principalement des vêtements issus de répliques de costumes traditionnels, j’ai commencé à réfléchir autour du projet d’origine conçu pour le lieu : faire le lien entre l’ancien village, dévasté par le typhon, et le Parc Aborigène, fait de reconstitution de villages. Entre deux, la zone d’habitation où sont relogés la plupart des populations, toutes tribus confondues.
Beaucoup de légendes et de symboles, que l’on retrouve parmi les motifs et les broderies des différents costumes, telles des peaux marquées de sceaux identitaires dans lesquels il faut tenter de lire.

Comment travailler sur un effondrement, et sur une reconstruction qui semble plus nécessité qu’évidence ?

Le textile, tant par son histoire que par sa structure, est le matériau qui permet de passer les ponts. Le terme de « tisser des liens », avec des éléments invoquant le passé, donne ici tout son sens au présent.

J’ai choisi de travailler dans le « Museum of living pattern » qui m’a paru d’emblée être le lieu où se trouvent réunis, dans une étrange galerie de figures de cire, tous les costumes des tribus, afin de fabriquer une autre figure, celle qui pourrait, au moins symboliquement, les rassembler tous, en les ayant préalablement intégrées puis recréés sous une forme fantasmatique.

J’ai commencé à déconstruire chaque vêtement, morceau par morceau.
J’ai dépiauté, dépecé. Il fallait très clairement en découdre avec cette matière inerte qui échappait à tout repère pour moi, et me réapproprier chaque élément. À partir de ces lambeaux, j’ai reconstruit, couche par couche, des strates-mémoires sur un squelette neuf, pour créer un fétiche grandeur nature.

Il a fallu enlever une à une les perles, aussi les pierres, les rubans, les clochettes, les plumes et tous les éléments décoratifs cousus sur les vêtements, pour les classer ensemble et les mettre à part, comme l’on désassemble un cadavre lors d’une autopsie, et mettre le tissu à nu.
Toutes ces pièces hétéroclites forment ensuite de nouveaux ornements, jusqu’à épuisement de la matière. Processus magique ou méthodique, il me fallait, d’une façon sûre et certaine, tout disperser pour me réapproprier chaque objet, jour après jour.
Prendre les vêtements, les découper, les transformer, les déteindre, les repeindre, les tresser ensemble, ouvrir les ourlets, recouvrir les nœuds, renouer les fils…

Prenant la couleur noire comme base commune, car présente dans tous les textiles, j’ai découpé en bandes chaque pièce, laissant ça et là des apparitions de broderies, de motifs, de tissage floral comme une éclaircie dans un ciel sombre, procédant par fragmentation et recouvrement.

L’être sculpté de tissu, recousu patiemment à la main, réunit et absorbe, comme le noir, toutes les autres couleurs. Il malaxe les identités pour n’en former qu’une.
Il évoque la nostalgie d’un passé à jamais révolu, et le désir de construire un avenir à la génération future, qui porte en elle l’ADN de toutes les tribus, mixées à l’aune de la modernité.

Pour finir par un hommage à la nature sauvage omniprésente, j’ai récolté, avec la complicité de certains, des os, des plumes, des racines et même un petit crâne de singe, qui, une fois serti de perles noire, est devenu le plus précieux des bijoux.

Revêtu des oripeaux empruntés à chacun, le ‘SONG‘ couronné de cornes de Minotaure, se dresse vers le ciel tandis que ses racines puisent l’énergie du sol. Il est un chant victorieux traversant l’épaisse forêt des montagnes, fier, fort, et heureux d’une telle métamorphose.

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